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Constat Huissier de Justice Types de constat Permis de construire Application de photos

Que valent les applications de photos géolocalisées en matière de permis d’urbanisme ?

Par Me Alexandre LOVATO, Huissier de Justice

Dès l’obtention de son permis de construire, de sa déclaration préalable ou de tout autre permis d’urbanisme, il y a lieu d’en assurer la publicité par affichage sur le site du futur chantier (Art R 600-2 du Code de l’Urbanisme).

La question de pose alors de la preuve de cet affichage. En effet, si vous n’êtes pas en mesure de prouver un affichage réglementaire et conforme, un tiers pourra le remettre en cause et contester votre projet, même après la fin des travaux.

Chacun sait qu’en la matière, la preuve ultime est le constat d’Huissier de Justice par 3 passages (Cf. le constat de permis de construire par Huissier sur le présent site). Toutefois, nous avons vu ces dernières années apparaître sur internet des applications proposant à l’utilisateur de faire des photos géolocalisées « certifiées » et même pour certaines, transmises à un Huissier de Justice. Ces applications proposent ainsi de vous apporter la preuve qu’il vous faut en matière d’affichage de permis d’urbanisme.

Je vais donc m’appliquer à vous expliquer pourquoi ce type d’application n’apporte strictement rien en termes de preuve de l’affichage régulier de votre permis et pourquoi, malgré cela, ce type de protocole est toujours proposé aux consommateurs.

1. Quelles sont ces applications qui proposent faussement de prouver l’affichage de votre permis de construire ?

Il s’agit d’applications qui permettent à l’utilisateur de faire une photo géolocalisée et horodatée. Certaines proposent même de transmettre la photo à un Huissier de Justice afin qu’il en atteste du dépôt sur son serveur. Avec Huissier ou non, cela ne prouvera en aucun cas un affichage régulier.

A. Les applications de photos géolocalisées et horodatées

Il ne m’est malheureusement pas possible de citer les applications en question pour des raisons d’ordre juridique mais il vous sera facile de les identifier. Il s’agit de toutes les applications qui offrent la possibilité de faire une photo géolocalisée et horodatée avec les fonctions natives de votre Smartphone (localisation GPS et date). Si ce type de protocole peut s’avérer utile dans certains types de situations (désolé, je n’ai pas d’exemple), ce qui est certain, c’est qu’il ne vous apportera pas la preuve que vous souhaitez en matière d’affichage de permis de construire ! Et vous allez voir que c’est juste du bon sens !

Pour rappel : un affichage, pour être conforme, doit être continu pendant une période de 2 mois, visible et lisible depuis la voie publique et satisfaire aux obligations légales de l’article (421-15 à 424-19 du Code de l’Urbanisme).

Vous comprenez donc tout de suite le problème :

  • Comment une photo prouvera-t-elle le caractère continu de l’affichage ? (vous pourriez très bien retirer le panneau juste après !)
  • Comment une photo peut prouver le caractère visible et lisible depuis la voie publique ? (tout dépend d’où est prise la photo).
  • Comment prouver que ce n’est pas une photo d’une photo et donc remettre en cause la géolocalisation et la date ?
  • Qu’est-ce qui prouve que le panneau est aux dimensions légales (80 x 80) ?
  • Etc

Je pourrais continuer mais cela ne me semble pas nécessaire.
Vous l’aurez certainement compris, ce type d’application vous fera une belle photo, certes, mais vous n’aurez plus qu’à espérer qu’aucun tiers ne vienne contester votre affichage. Ce dernier n’aura en effet aucun mal à invoquer son irrégularité et vous serez bien démuni avec votre jolie photo assortie d’une date et de coordonnées GPS.

B. Les applications de photos géolocalisées, datées puis transmises à un Huissier de Justice

Là aussi, il ne m’est pas possible de les citer mais vous n’aurez aucun mal non plus à les identifier. Il s’agit d’applications qui proposent le même protocole que les applications précédemment décrites mais qui en plus, vous propose d’adresser les photos prises à un Huissier qui va en attester de la réception à travers ce qu’on appelle un procès-verbal de dépôt.

Soyons direct ! L’intervention d’un huissier de Justice dans ce type de protocole n’apporte strictement rien pour votre constat d’affichage. En effet, si l’Huissier ne se déplace pas sur le site, il ne peut attester qu’uniquement du jour et de l’heure de la réception en son étude de la photo que vous lui transmettez. Juste logique….

Il ne pourra donc en aucun cas, attester de la véritable date de la photo et encore moins de sa géolocalisation. Son soi-disant PV de dépôt attestera seulement qu’il a reçu cette photo à telle date et que cette dernière était associée aux coordonnées GPS fournies par votre Smartphone. Mais alors, qu’est-ce que cela prouve ? Bah rien !

On revient aux mêmes problématiques que pour les applications de photos géolocalisées et datées. L’intervention de l’Huissier de justice proposée par ces applications est juste un moyen marketing de vous vendre le protocole en s’appuyant sur l’image de l’Huissier de Justice afin de vous donner confiance.

2. Pourquoi ces protocoles ne sont-ils pas une preuve au regard du code de l’urbanisme ?

Les applications de photos géolocalisées et horodatées, quand bien même transmises à un Huissier de Justice, ne peuvent pas prouver le caractère continu d’un affichage de permis de construire et encore moins le caractère visible et lisible depuis la voie publique.

A. Les exigences du Code de l’Urbanisme en matière d’affichage de permis de construire

L’affichage sur site des autorisations administratives (permis de construire, déclaration préalable, permis de démolir) est encadré par les articles 424-15 à 424- 19 du Code de l’Urbanisme.

  • L’affichage doit être établi sur un panneau dont les dimensions sont supérieures à 80 centimètres.
  • L’affichage doit être visible et lisible depuis la voie publique, et ce, pendant toute la durée du chantier.
  • L’affichage du permis doit être continu et ne présenter aucune interruption (idem pour le caractère visible et lisible depuis la voie publique).
  • L’affichage devra comporter un certain nombre de mentions obligatoires : le nom du bénéficiaire, le numéro de permis, la date de remise du permis, la nature des travaux, la superficie du terrain, la mairie où l’on peut consulter le dossier, la surface et la hauteur de la construction, le nom de l’architecte le cas échéant et les modalités de recours des tiers.

    B. Des applications sans aucun intérêt en matière de permis de construire

    A la lecture de la réglementation sur l’affichage des permis d’urbanisme, on voit très bien qu’aucun protocole proposé par ces applications ne peut être constitutif d’une preuve.

  • Sur la date de l’affichage : une photo datée par une application est falsifiable de multiples manières (prendre une photo d’une photo par exemple).
  • Sur le caractère continu de l’affichage : il est très facile de prendre la photo de son panneau avec l’application puis de retirer l’affichage ensuite !
  • Sur la géolocalisation : ne prouve en rien le caractère visible et lisible depuis la voie publique, sans oublier les applications type « fake gps » qui permettent de falsifier facilement les coordonnées GPS de son Smartphone.
  • Je ne m’attarderai pas plus ici car c’est juste du bon sens. Une photo prise à un instant « t » dans un lieu soi-disant géolocalisé avec son téléphone et même transmise à un huissier de justice ne prouvera pas le caractère régulier et conforme d’un affichage de permis de construire.

    3. Que disent la jurisprudence et la loi sur ces applications ?

    La CA d’Aix en Provence dans un arrêt du 24 Juin 2021, est venue préciser que les photos prises par une application puis ensuite transmises à un Huissier de Justice ne sont pas des éléments « constitutifs de la preuve ».

    A. La jurisprudence sur ces applications de photos géolocalisées

    La Cour d’Appel d’Aix en Provence, par un arrêt du 24 juin 2021 (n°2021/405 – RG 20/07645) a en effet été amenée à trancher sur ce type de protocole de photos géolocalisées, horodatées et transmises à un Huissier de Justice.

    Il s’agissait dans cette affaire de statuer sur une photo faite à l’aide d’une application et transmise à un Huissier prêtant sa collaboration au protocole. Ce dernier établissant un procès-verbal de dépôt de la dite photo avec date certaine et retranscription des coordonnées GPS affichées par le Smartphone du client.

    En l’espèce, il ne s’agissait pas d’un permis de construire mais juste de prouver le stationnement d’un véhicule (donc bien moins stricte que la réglementation en matière d’affichage de permis d’urbanisme).

    Les magistrats ont été très clairs : « Le constat […] ne fait que constater des photos prises par le gérant » (l’utilisateur de l’application) « Ces procès-verbaux établis […] selon un procédé ne relevant pas de l'office de l'Huissier instrumentaire qui n'a pas lui-même procédé aux constatations figurant sur les documents numériques transmis, ne peuvent être considérés comme constitutifs de la preuve ».

    Cette décision n’est pas surprenante et ne fait qu’affirmer le bon sens des juges, et ce, pour toutes les raisons que je vous ai indiquées.

    B. Le nouveau décret compétence du 10 décembre 2021

    Face à ces applications et à la « complicité » de certains Huissiers de Justice dans ces protocoles, le législateur est venu préciser les modalités du constat d’Huissier dans le récent décret n°2021-1625 du 10 décembre 2021.

    Dans son article 5, il précise : « Le commissaire de justice [huissier de justice], ou le clerc habilité aux constats, effectue lui-même les constatations prévues au 2° du II de l'article 1er de l'ordonnance du 2 juin 2016 susvisée. Il se rend personnellement sur les lieux du constat. »

    Ce texte a pour objet de mettre fin à la pratique de certains huissiers qui prêtent leur ministère à ces applications qui n’ont que pour finalité de tromper les consommateurs sur le service véritablement rendu.

    En conditionnant la valeur du constat au déplacement de l’Huissier de Justice sur les lieux des constatations, le législateur renforce ainsi la responsabilité des huissiers qui pratiquent ce type de « procès- verbal de dépôt de photos géolocalisées », ces derniers n’apportant rien en matière de constat d’affichage de permis de construire.

    4. Pourquoi ces applications sont-elles toujours en ligne et proposées aux consommateurs ?

    Il est vrai qu’au vu de ce que je viens de vous exposer, la question est tout à fait légitime. Et bien vous allez voir que la réponse est simple et inquiétante à la fois. Elle repose tout d’abord sur le fait que la preuve de l’affichage régulier d’un permis de construire ou plus généralement d’un permis d’urbanisme se prouve par tous moyens. Ensuite, n’oublions pas un principe de base de notre droit : « ce que la loi n’interdit pas, elle l’autorise ».

    A. L’affichage du permis de construire : la preuve par tous moyens

    Quand on dit qu’un fait se prouve par tous moyens, cela signifie, pour faire simple, qu’il n’y a pas de mode de preuve exigé pour apporter la preuve de ce fait.

    Appliqué au droit de l’urbanisme et en matière d’affichage de permis, cela signifie qu’en cas de contestation, toutes les preuves sont recevables et que ces dernières sont laissées à l’appréciation du juge. C’est subtil et cela change tout ! En effet, on pourrait penser qu’il suffit de prouver d’une manière ou d’une autre la conformité de son affichage pour écarter toute contestation de son permis. Il n’en n’est rien. En pratique, en cas de contestation, le juge va s’attarder à vérifier que l’affichage est bien régulier. Or, l’analyse de la jurisprudence démontre que seul un véritable constat d’Huissier de justice avec 3 passages sur le site peut apporter sans discussion possible cette preuve. En effet, à défaut, le juge ouvrira le droit de recours des tiers, dès l’instant qu’il aura le moindre doute…Ce qui est normal afin de ne pas prendre le risque de léser le droit des tiers.

    Conclusion : même si tous les moyens sont admis, seul le constat d’Huissier avec 3 passages prouvera de manière incontestable la régularité de l’affichage.

    B. Ce que la loi n’interdit pas, elle l’autorise

    Revenons alors à nos applications de photos géolocalisées en matière de permis de construire et d’urbanisme. On a vu que la preuve se rapporte par tous moyens, quand bien même cette preuve n’en n’est pas une ! Vous l’avez compris, ces sociétés qui éditent ces applications se sont engouffrées dans une faille juridique qui exploite l’ignorance des utilisateurs. Ces dernières se protègent le plus souvent avec les petites lignes des CGV que personne ne lit (qui signifient quand on traduit : on ne dit pas que cela sert à quelque chose, c’est vous qui voyez !).

    La problématique est, à mon sens, plus grave quand ces applications sont partenaires d’un Huissier de Justice (application qui propose de transmettre la photo à un huissier). Même s’il y a toujours les petites lignes dans les CGV (eh oui, ils ne sont pas fous), il y a lieu de s’interroger sur le devoir de probité auquel l’huissier est soumis. En effet, ce dernier sait très bien que l’acte qu’il dresse dans le cadre d’un affichage de permis d’urbanisme n’a aucun intérêt et que son intervention dans le « processus » ne peut avoir que pour objet de tromper le consommateur.

    Nous pouvons toutefois être rassurés par les initiatives de la Chambre Nationale des Huissiers de Justice qui, dans un souci de protection du justiciable, a déjà engagée contre ces applications et les huissiers qui y prêtent leurs concours, des procédures contentieuses et disciplinaires.

    À propos

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